Un sujet passionnant de l’aménagement du territoire occupe l’actualité depuis 2008, le Grand Paris, et met à contribution les architectes.
l’actualité d’octobre 2011
Depuis une exposition décevante courant 2009 à la Cité de l’Architecture, qui ne rendait pas justice à certaines contributions riches, inventives et réfléchies, ma curiosité n’a pas été comblée par la poursuite d’études par nature confidentielles, et seules les publications de la loi du 3 juin 2010 et de son décret du 24 août 2011 avaient levé partiellement le voile sur l’ambition du projet.
Le colloque qui s’est déroulé lundi 10 octobre à la Cité de l’architecture a enfin mis en lumière les scenarii en cours d’études à travers les interventions successives du Président de la république, du préfet de région, des hommes politiques franciliens et des architectes. A les réécouter sur le site internet de la Cité de l’architecture, je constate aujourd’hui, comme d’autres en avaient auparavant exprimé la crainte, que la gouvernance du Grand Paris n’existe pas et que les différents acteurs ont vécu ces quatre années en s’observant mutuellement.
l’enjeu
L’enjeu est en effet de faire converger deux approches parallèles, avec l’inconvénient nouveau d’un problème aigu de financement qui va tempérer dorénavant l’ardeur et l’enthousiasme des développeurs immobiliers :
L’une étatique, initiée trop brutalement par Christian Blanc, est un investissement massif dans une opération de grands travaux publics. Signe de notre époque, l’État investit dans les voies ferrées plutôt que dans les autoroutes qu’il a abandonnées au secteur privé, mais sa logique reste la même: soutenir à court terme l’économie et l’emploi, à défaut de proposer une vision cohérente à moyen terme du développement de l’Ile de France et de ses conséquences sur l’aménagement dans son ensemble du territoire français.
L’autre est menée, de manière plus désordonnée puisque reflétant l’imbroglio des échelons administratifs français, par les communes ou les communautés d’agglomération qui gèrent les PLU et la région Île-de-France en charge des transports. Leurs représentants tentent d’améliorer un cadre de vie local objectivement dégradé, dans le temps court d’un mandat électoral et en dépit d’une perte de confiance majoritaire dans une prospérité future.
des architectes transformés en chirurgiens
Entre ces deux pôles décisionnaires, les architectes sélectionnés ne parviennent pas toujours à s’extraire d’un discours esthétisant, de rigueur dans un concours de marché public, mais peu adapté à une prospective sociétale comme l’avenir du grand Paris: ils donnent l’impression de n’appliquer que leur savoir faire, parfois acquis à l’international et qui relève plus de la macro architecture que de l’urbanisme, sur ce vaste territoire de la banlieue.
Un consensus opportuniste promet ainsi cette dernière à la densification : 70% du foncier y est constitué par des zones pavillonnaires, et depuis l’accélération des prix du logement francilien de nombreux délaissés et friches industrielles y sont déjà l’objet d’études de renouvellement urbain. Ces différents projets, 650 selon la comptabilité présidentielle, n’ont souvent pas en réalité été initiés par l’annonce du Grand Tracé Express mais devront nécessairement faire avec.
Et ce qui est frappant dans la présentation de ces quelques projets, choisis vraisemblablement en raison de leur potentiel symbolique à proximité des futures gares ou le long de la Seine, c’est la répétition du mot « vascularisation ». Confrontés à se pencher sur le grand corps malade de la banlieue parisienne, les architectes tentent d’en revitaliser chaque zone en diagnostiquant les freins aux déplacements de toutes sortes (piétons, automobiles, transports en commun) et en proposant leur suppression au profit d’opérations urbaines censées recréer un cadre de vie idéal. Selon cette grille de lecture, les architectes ne se démarquent guère (à l’exception d’un vocabulaire plus poétique) des ingénieurs de l’équipement qui ont pour postulat depuis longtemps de penser la ville en termes de mécanique des fluides, et de garantir avant tout la fluidité des différents flux constitués par les hommes et les marchandises qu’ils produisaient, et produisent localement de moins en moins, mais qu’ils consomment toujours. Remplacer des friches provenant de la désindustrialisation par des espaces urbanisés selon une logique locale qui privilégie le logement et le loisir en évitant au maximum la gêne d’activités jugées polluantes (centres logistiques d’approvisionnement, zones artisanales, centres de production énergétique, centres de retraitement des déchets, etc…) non seulement prouve que les architectes-urbanistes, dans les présentations entendues dans ce colloque, ont repris inconsciemment un discours de développeur immobilier en mettant l’accent sur la vitesse (exemples entendus: ce nouveau transport mène de la porte de Choisy à l’aéroport d’Orly en moins de 40 minutes, l’entrée de l’aéroport du Bourget est à trois cent mètres à gauche sur la nouvelle avenue, etc…) et sur les loisirs (prolifération de nouveaux musées, de nouveaux équipements culturels et sportifs) comme si le francilien était devenu subitement un touriste sédentarisé.
une perte de sens
Ont-ils abandonné la poursuite d’une utopie sociale qui les a singularisés au début du XXème siècle pour les plus célèbres d’entre eux, celle de penser la ville du futur, et d’en prédire les éventuels dangers ? Ont-ils oublié que l’histoire du développement immobilier de Paris a toujours été centrifuge en déplaçant en dehors de ses enceintes successives ses populations les moins favorisées, créant ainsi les territoires de la ségrégation sociale qui mettent en péril aujourd’hui la cohésion républicaine et légitiment la consultation à laquelle ils sont invités ?
Dans le débat du Grand Paris, sont ils incapables d’en proposer une structure d’identification qui puisse donner un sens à cette mosaïque de projets: qu’est ce qui peut agréger Les Mureaux et Versailles ?
… en rangeant ma bibliothèque…
Comme le reconnaissait déjà la DATAR dans quatre études menées entre 2004 et 2008 regroupées sous le nom de « Du bassin parisien à la région économique de Paris 2004/2008 », contrairement à l’aire urbaine, espace qui peut être identifié à un espace physique au contour déterminé bien qu’évolutif, la « région économique de Paris » apparaît comme une région fonctionnelle aux espaces parfois très discontinus et non comme un espace physique cohérent avec un périmètre. Ce constat a le mérite de rappeler que la DATAR dans la production d’études sur la planification de l’aménagement du territoire fait preuve d’une constance et d’une cohérence certaines, mais que la politique gouvernementale en est souvent dépourvue.
Faut-il rappeler que l’actuel Président de la République qui a relancé le débat du grand Paris était en 1993 ministre du budget et porte parole du gouvernement Balladur, et que ce dernier avait organisé un débat national pour l’aménagement du territoire dont le point d’orgue fut le CIAT de Mende du 12 juillet 1993. Ce débat devait permettre de dessiner l’image de notre pays en 2015.
Un des sept grands chantiers d’aménagement cités était le Bassin Parisien
Il y a vingt ans, l’espoir d’une construction européenne articulée – à juste titre – autour de l’émergence de grandes régions économiques faisait dire à nos politiques que « le renforcement du rôle de la capitale dans l’Europe en construction sera d’autant mieux atteint que l’Ile de France saura nourrir sa complémentarité avec la couronne de Bassin Parisien dans un meilleur partage du développement et des responsabilités, en créant un ensemble de vingt millions d’habitants ».
Aujourd’hui, cette grande ambition s’est ratatinée à la présentation d’une simple carte des futurs transports publics en rocade desservant très mal l’Ile de France, car trop proche du périphérique parisien. Cette carte fait fi de la configuration qui avait été imaginée en 1965 lors de la création des cinq villes nouvelles . Celles ci auront donc encore plus de mal à achever le développement urbain qui leur avait été assigné il y a cinquante ans (Evry, considérée achevée en 2001, n’a rempli que le cinquième de ses objectifs en termes d’accueil de population).
où est la génération des trentenaires ?
Loin de représenter une ambition raisonnable pour pallier le déficit structurel de création de logements en Île-de-France (35 000 par an, soit un rapport de un à deux !), le grand Paris dans sa version « nouvelles infrastructures de transports en 2025 » ressemble à un acte de contrition collectif: réparons ensemble ce que vingt années de planification étatique, suivies par vingt cinq années d’application débridée de la compétence décentralisée en matière d’urbanisme ont déglingué.
Cette dernière période ayant logiquement montré ses limites en termes de financement de réseaux de transport adaptés et performants, l’État recycle de vieilles recettes de maillage volontariste des réseaux pour relier ce qui a déjà été construit, alors que dans les années 1970 ces réseaux auraient pu devenir les vecteurs d’une politique ambitieuse de polycentrisme urbain, et auraient équilibré leur seule version radiale: les RER que nous connaissons, construits pour relier au centre de Paris les cinq villes nouvelles.
Exercer le métier d’architecte m’a appris la patience, construire une œuvre, la ténacité et l’humilité. Je ne vois pas dans l’action publique qui a façonné le bassin parisien les traces d’un tel état d’esprit. Et comme l’essentiel de ma carrière est derrière moi, je m’interdirai de donner des leçons aux futurs acteurs de l’évolution urbaine de ce territoire. Ce qui m’autorise à trouver particulièrement paradoxal d’avoir interrogé lors de cette consultation une génération d’architectes sur un futur qu’ils ne connaîtront pas: leurs propositions illustrées ressemblent parfois à des actes manqués et souvent à des projets avortés exhumés des archives de leurs agences respectives.
Il est en tout cas significatif à mes yeux que la seule équipe dont le discours apparaît clairement en décalage avec la réflexion du gouvernement soit également la plus jeune (AUC). C’est en tout cas la seule à ne pas sombrer dans un discours néo-technocratique, à évoquer le Canada, à parler de la voiture électrique, surtout à aborder la question du transport et de ses modes sous l’angle esthétique du plaisir de voyager.
Les propositions faites d’étendre et de densifier la toile d’araignée des réseaux existants fait pourtant l’économie d’une véritable remise en cause des moyens de transport et de notre comportement vis-à-vis d’eux, même s’il est logique de les privilégier puisqu’ils représentent une alternative au réseau routier. Mais le développement de ce dernier n’est pas en réalité fondamentalement remis en cause: il n’est pas évoqué du tout. Or nous n’échapperons pas à une véritable révolution dans ce domaine, et nous avons tort de ne pas préparer les esprits à l’affronter.
penser la ville de demain
Pour travailler sur ces territoires de la banlieue depuis dix ans, je suis frappé de systématiquement diagnostiquer combien les infrastructures routières divisent, découpent, abîment dans leur échelle de proximité les quartiers qu’ils relient. La banlieue a été scarifiée par les routes nationales et départementales, les voies rapides et leurs bretelles d’accès, héritées d’une pensée d’ingénieurs des D.D.E. obnubilés par des critères de fluidité d’un trafic automobile calibré à des vitesses aujourd’hui incorrectes.
L’absence d’urbanité se constate d’abord là, dans une voirie qui subit et parfois suscite des actes d’incivilités aussi dangereux que d’autres actes de délinquance "à pied" plus médiatisés.
La quête d’une urbanité – d’une civilité retrouvée – suppose de repenser ces lieux du transport et les modes de déplacement.
L’urbanisme du futur suppose l’usage exclusif de voitures individuelles, de camionnettes de livraison, de véhicules de transport collectif, tous de taille nettement réduite et à mode de propulsion sans gaz d’échappement ni bruits. C’est indispensable pour pacifier et embellir définitivement ces lieux qui structurent la ville, et qui en sont aujourd’hui les cicatrices les plus vives.
oublier Paris
L’urbanisme se juge sur le long terme, le constat pessimiste que je tire des annonces actuelles sur le Grand Paris ne se fonde que sur l’histoire des différents renoncements de planification qu’a connu la région capitale. Il peut être infirmé par d’autres facteurs, ne serait ce que par le devenir de la construction européenne, et dans vingt ans un bilan moins noir sera peut être établi. Mais pour revenir une dernière fois sur le CIAT de 1993, celui ci évoquait un autre grand chantier, celui de la Façade Atlantique, qui est à coup sûr un échec total et ne bénéficie même pas d’un regain de volontarisme gouvernemental.
La construction européenne, dans la logique de sa version fédéraliste, a moins besoin d’un Paris hypertrophié, creusant l’écart avec les autres métropoles provinciales en cannibalisant les fonds publics, que d’une démonstration du génie français dans l’imagination de villes du XXIème siècle.
Ce territoire d’expérimentation existe, y compris dans la réflexion de nos partenaires européens: c’est l’Arc Atlantique qui va de Santander à Rotterdam, et intéresse au moins trois villes Bordeaux, Nantes et Le Havre qu’un investissement public majeur pourrait faire décoller parce qu’elles sont des ports, parce qu’elles bénéficient d’un arrière pays riche et agréable à vivre, et que les projections climatiques favoriseront par l’ouverture de l’océan balte de nouvelles voies commerciales.
La DATAR diagnostiquait alors à ce sujet:
L’évolution du continent européen aggrave les risques de déséquilibre et de dislocation de la France. Des forces centrifuges s’exercent en effet sur nos régions et nos villes frontières qui sont mal préparées à une compétition économique dont elles étaient auparavant protégées. Simultanément, les flux de transports et les activités convergent vers l’intérieur du continent et nous marginalisent progressivement… Si rien n’est cette évolution pourrait se concentrer sur une dorsale continentale qui de Londres à Milan contournerait la France sans jamais la pénétrer. Les régions atlantiques se trouveraient alors à l’écart des grands courants de développement.
construire la ville de demain
Si en France les diagnostics sont souvent brillants, les politiques de mise en œuvre sont tout autant inconstantes. Les architectes savent combien la richesse du patrimoine peut aussi paralyser le développement des villes. Puissions nous inventer un jour une Brasilia ou une Chandigarh française dans leur version océanique !
DM 1/10/2011
(cet article a été publié dans la lettre n°47 du Cercle pour l’Aménagement du Territoire site de l’Association CAT)