Il est coutumier de dire que Rome est un musée à ciel ouvert dont il est agréable de suivre avec une vague idée de l'orientation les allées sinueuses, les yeux levés vers les façades des immeubles, et de franchir les seuils des innombrables églises disséminées en son centre, découvertes parfois par surprise car discrètement intégrées dans les alignements du tissu urbain.
Le centre de Rome atteint ainsi souvent l'excellence et l'harmonie architecturales que l'on reconnaît à Venise, avec un surplus de vie contemporaine qui fait tout le charme de cette capitale.
Les points de passages obligés que sont les églises et basiliques, tels Saint Clément, Sainte Marie majeure, Saint Pierre, les villas et musées, tels la villa Borghèse, le musée du Vatican sont réellement incontournables pour découvrir les peintures et sculptures des siècles d'or des artistes italiens. Mais il faut également se réserver un peu de temps pour découvrir deux musées d'art moderne qui « méritent le voyage ».
Le premier, la Galerie Nationale d'Art Moderne, dresse un panorama de la vie artistique transalpine des XIXème et XXème siècle. Il est paradoxalement hébergé dans un palais très Beaux Arts édifié en 1912 dans le parc de la villa Borghèse, à proximité de cette dernière.
Ce hiatus architectural une fois dépassé – le gouvernement italien l'ayant commandé dans une esthétique qui avait au moins trente ans de retard sur les courants architecturaux européens de l'époque -, la visite s'avère très agréable car non seulement beaucoup d'artistes exposés sont familiers aux yeux des amateurs d'art d'aujourd'hui - Giorgio de Chirico, Amedeo Modigliani, Antonio Canova, Lucio Fontana, mais aussi Alexander Calder, Paul Cézanne, Alberto Giacometti, Piet Mondrian, Jackson Pollock, Vincent van Gogh, Yves Klein… - , mais surtout car les salles donnent une leçon d'intelligence aux architectes et aux conservateurs de musées d'aujourd'hui en ce qui concernent l'éclairage des œuvres exposées.
Quoi de plus simple, de plus efficace et de plus reposant pour les yeux que la lumière naturelle tamisée dispensée par de larges baies. La Galerie Nationale dispose en plus de façades intérieures donnant sur trois patios plantés qui profitent grandement au plaisir du parcours de salles dont la hauteur sous plafond est très généreuse.
La visite est facilitée par une disposition rationnelle des salles dans une grille rectangulaire sans culs-de-sac ou pertes de l'orientation générale.
La cafétéria qui dispose d'une terrasse abritée dans le parc n'est pas la sandwicherie habituelle, elle est à la hauteur des Romains qui la fréquentent, distinguée.
Le second, le MAXXI, est consacré à la création contemporaine, et aux archives de nombreux architectes
italiens du XX° siècle, Piano, Nervi, Anselmi, Soleri, Gregotti, etc...Il a été ouvert en 2010 sur un ancien site industriel du quartier de Flaminio en remplacement et reconversion d'anciens bâtiments , et est l’œuvre de la géniale architecte Zaha Hadid, très récemment décédée.
Dans la carrière de celle ci, le MAXXI peut apparaître comme une œuvre sage, assez éloignée de ses projets qui ont fait sa légende, longtemps jugés utopistes au XXème siècle car inconstructibles, mais qui ont subitement prouvé à l'orée du XXI° siècle leur faisabilité technique et pour tout dire leur valeur marchande aux yeux de ses commanditaires.
Car Zaha Hadid dans la dernière décennie est devenue une marque que sa disparition subite va immanquablement fragiliser.
Quoiqu'il en soit le MAXXI propose, derrière des façades et une volumétrie qui sont sa signature certes mais avec la modestie du béton gris respectueuse tout compte fait du site, des espaces intérieurs qui témoignent largement de son génie.
Le visiteur y est aspiré comme dans un gigantesque estomac pour être rejeté au terme de son parcours au point de départ. Si la cohérence du parcours muséal est respectée, c'est peu dire que l'architecture intérieure des lieux détourne à son seul profit l'attention sur les œuvres présentées. Tout le plan du musée est basé sur l'imbrication de lanières curvilignes, et certaines salles sont littéralement tordues, comme si leur créateur s'était inspiré du travail d'un maître de forges.
Quand la lumière naturelle s'invite par les toitures, sa puissance est broyée à travers des séries de brise-soleils qui rappellent les branchies des poissons, une métaphore organique que Zaha Hadid aimait reproduire également sur les façades de ses projets. L'éclairage artificiel devient donc souvent prédominant.
Cette règle, comme celle qui refuse la tyrannie de l'angle droit dans le dessin des salles se retrouve de plus en plus dans les nouveaux musées dont chaque capitale se dote pour attirer la manne touristique. Faut il le regretter, ou plus simplement constater que souvent l'intérêt porté aux œuvres contemporaines ne profite en réalité que du côté spectaculaire de leur écrin. Un vrai sujet de méditation, au regard de l'émotion tranquille offerte par la Galerie Nationale.
En tout état de cause, le MAXXI offre un témoignage parfait de la maîtrise avec laquelle a été pensé l'atrium où se déploient les différentes coursives donnant accès aux deux niveaux supérieurs. L'idée d'opposer à toutes les faces courbes de cet espace une seule droite, un tube rouge de l'ordre du mobilier, est littéralement un trait de génie.
La cafétéria, modeste, est située face à l'entrée du musée dans un bâtiment ancien rénové. Elle utilise largement l'espace minéral ménagé entre ceux ci, et qui, d'après les habitués, est très prisé par les familles venues profiter du lieu pour y faire jouer leur progéniture.
Rome peut s'enorgueillir d'avoir deux musées d'art moderne aussi opposés par le concept architectural qu'ils sont individuellement passionnants à visiter.