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Didier Maufras

Le nouveau Roland Garros : Une serre habile et des serre-livres maladroits



Vu depuis le boulevard d'Auteuil, il est impossible de deviner la présence d'un stade de tennis semi-enterré derrière ces volutes de verre. Le maquillage est efficace et on devine le compromis qui a présidé à l'irruption de cette architecture contemporaine dans un jardin du XIX° siècle célèbre pour ses serres iconiques devenues des témoins rares de l'architecture métallique de la fin du XIX°.

L'habileté du plan de masse a consisté à montrer une inscription harmonieuse dans l'esprit d'une continuité de dialogue entre les époques alors que au niveau du promeneur des rideaux d'arbres et des dénivelées interdissent toute confrontation en vis-à-vis.



plan des serres et du stade


De plus la silhouette générale en quartiers de cylindre assure une filiation formelle qui a dû être mise en avant dans les perspectives présentées au permis de construire à travers un graphisme épuré que la réalisation peine cependant à reproduire.

Trente ans après la pyramide du Louvre et la présentation d'une architecture arachnéenne et transparente que la réalité construite dément, force est de constater que les serres de Formigé sont conçues comme des ouvrages métalliques savants et expressionnistes, dont la peau de verre martelé est seulement utilitaire et protectrice du contenu, tandis que les verrières du XXI°siècle mettent au premier plan cette peau de verre clair en prétendant masquer leurs structures porteuses lourdes et complexes.

C'est évidemment impossible, et seule une qualité de verre obtenue par sérigraphie ou traitement de surface permettrait de reconstituer sous toutes les lumières du ciel la forme du projet. La transparence apparaît dans cette circonstance un concept délétère qui transforme tous ces projets en des écorchés architecturaux. La même erreur a été faite lors du changement du verre martelé du Grand Palais par un verre ultra clair.


Autre différence notable entre les deux époques : la serre dessinée par Marc Mimram est chauffée en hiver, et ses écailles de verre peuvent s’entrouvrir pendant les autres saisons pour assurer la ventilation. Des brises-soleils extérieurs en toile guidés par des câbles inox sont également disposés sur les trois rangées d'écailles. Toute cette sophistication a évidemment un revers intellectuel et esthétique quand le regard s'approche, atténuant l'idée de serre, celle de Formigé ou celle plus rustique des pépiniéristes et des maraîchers.


Curieusement dans la présentation de son projet Marc Mimram semble contredire cette réalité mimétique qui a vraisemblablement plu aux censeurs des Bâtiments de France :

Les nouvelles serres réalisent un écrin de verre accueillant les plantes de quatre continents. Il s’agissait de revenir à ce sujet de référence de l’architecture métallique dans le gabarit des serres voisines, sans mimétisme, mais, en dialogue avec ce qui constitue depuis le Crystal Palace de 1851 à Londres, une référence absolue de légèreté, de frugalité, de relation délicate entre lumière et structure. Mais, les nouvelles serres nécessitent du double vitrage et des performances d’isolation très supérieures aux constructions précédentes. Le projet reprend une décomposition en écailles de verre à bords décalés dans deux directions. Cela permet de façonner une peau variant sous les lumières dans un effet de diffraction, de vibrations soutenues par des reflets sur les plans biais décomposés. La structure en acier des serres ordonne le mouvement et résonne avec la charpente en équilibre des gradins libérant une galerie périmétrale.


Mais comme dit plus haut, l'idée maîtresse du projet est d'avoir évité la confrontation dans un même plan perspectif, comme le prouvent les images suivantes.

La liaison principale en venant du stade Roland Garros emprunte l'allée de l'Orangerie entre les pavillons de meulière qui ont été restaurés et resteraient aujourd'hui sans affectation.

La hauteur de 6m du nouveau stade ne se perçoit pas du tout.



Au bout de l'allée, il présente son flanc Ouest, l'entrée se faisant à droite par la façade Sud donnant sur la rue de la porte d'Auteuil.





Plus au Nord, le long de l'allée longeant la façade Sud du bâtiment principal des serres de Formigé, voilà le seul point de vue permettant une vision simultanée.




En définitive, ce stade entouré de quatre portions de serres "décoratives" est plus juxtaposé que réellement inscrit dans la composition du jardin. En soi son architecture savante et sans doute onéreuse semble plus le fruit d'un compromis laborieux que d'une pensée rationnelle qui aurait pu conduire au dessin de serres parallélépipédiques d'exécution plus simple et sans doute plus sûre à entretenir.


serres chaudes Par © Salix / Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0

Pour mémoire, voilà photographiées en 2012 les serres chaudes qui ont été démolies pour laisser la place libre au nouveau stade. Ces serres avaient été construites dans les années 1980. Une vingtaine d'arbres, dont trois remarquables, ont été également arrachés.




Surtout l'éloignement d'avec le site historique de Roland Garros où se concentrent toutes les activités annexes de marchandisation de cette quinzaine annuelle interroge sur la pertinence de la solution adoptée.


plan de fonctionnement du site pendant la quinzaine



ancienne tribune Lacoste, au sud

Le court central lui-même a été entièrement restructuré. Depuis sa construction par Faure-Dujarric en 1928, il a présenté plusieurs visages. Je l'ai découvert en 1971, et me rappelle ses quatre tribunes austères en gradins de ciment brut entourés de balustrades répétant un motif de X romain. La capacité d'accueil de chacune de ces tribunes a été augmentée par extension ou reconstruction et des greffes ont été réalisées au dos de ces gradins par encorbellement successifs, successivement en 1975, 1987, 1999, 2008.

ancienne tribune Borotra, à l'ouest

Le résultat était devenu un patchwork sans saveur architecturale. En 2010 s'est posée la question de l'agrandissement du site, du fait de la concurrence d'autres capitales comme Madrid. Les marchands du temple ont investi définitivement le sanctuaire des Mousquetaires car le but de l'opération est bien l'accueil de consommateurs fortunés en plus des passionnés, le nombre global de places assises n'évoluant pas : le nouveau stade Simone Mathieu remplace le court n°1 démoli pour faire de la place aux premiers.


En 2015 le groupe VINCI remporte le marché de la modernisation du site au terme d'un dialogue compétitif : il prévoit la démolition de 80 % des structures du court central, seules les fondations et une partie de la tribune Lacoste sont conservées.


nouvelle façade nord sur l'avenue de la porte d'Auteuil

Contrairement aux espoirs que légitimement une telle ampleur de reconstruction pouvait laisser espérer, aucune unité architecturale ne se dégage de ce grand bâtiment qui évoque moins un stade qu'un centre commercial, affichant sans esprit du lieu et à chaque niveau de larges déambulatoires reliés par d'imposants escaliers de secours et des ascenseurs panoramiques.

par Herzog et Demeuron

A la même époque Vinci construisait le stade de Bordeaux avec le même principe structurel associant des gradins en béton avec une structure porteuse, un carénage et une couverture métalliques, pour un résultat autrement plus satisfaisant.

nouvelle façade Est, sur l'avenue Gordon Bennet

Sur l'agrandissement ci-dessous, on aperçoit le ciel sous la ligne d'acrotère. En effet un mauvais raccordement dans l'angle des gradins laisse une béance traversée par un énorme poteau donnant l'impression de supporter une couverture pourtant gracile.




Cette dernière illustration rassemble quelques maladresses supplémentaires:

  • un rappel incongru des balustrades historiques de Faure-Dujarric couplé à la sauvegarde -ou à la reconstruction en pastiche?- des premières volées des escaliers de secours.

  • La lourdeur des poutres constituant le toit amovible, stockées sur une partie de la couverture annulaire elle-même en porte-à-faux sur la longueur de la façade, mais inévitablement soutenue dans l'angle par deux énormes poteaux métalliques.

Ce toit amovible replié évoque pour moi l'image d'une étagère de bibliothèque vide de livres, mais encombrée de serre-livres forcément inutiles.



Discussion prospective :

Le débat sur cette extension a été très vif entre 2011 et 2015, à partir du moment où la Fédération Française de Tennis refuse les solutions en grande banlieue susceptibles d'offrir 25 à 30 hectares, jauge internationalement reconnue pour pouvoir accueillir un tournoi du grand chelem.


Les recours portés par plusieurs associations mettaient en avant une solution alternative au projet de La FFT s'appuyant sur une couverture de 4 000 m² de l'autoroute A13 au nord du site imposant la neutralisation de 250 m de l'avenue de la porte d'Auteuil durant la quinzaine que dure le tournoi https://media.wix.com/ugd/0c6b3731630d043f356fff9224ce8939540e18.pdf .


La faiblesse de cette contre proposition tient dans son coût, son manque évident d'études détaillées et apparemment son manque d'expertise juridique : on ne couvre pas un domaine autoroutier aussi facilement que le périphérique parisien sur le plan des autorisations à obtenir. Par ailleurs le risque de coloniser à l'avenir le Bois de Boulogne devenu riverain du site n'était peut-être pas inimaginable...

Une analyse complète de tous les aspects de cette alternative a été l'objet d'un intéressant rapport d'études de cinq élèves de l'Ecole des Mines de Paris : http://controverses.mines-paristech.fr/public/promo15/promo15_G24/www.controverses-minesparistech-7.fr/_groupe24/index.html

Cette controverse illustre bien la réalité des défis que l'aménagement des villes doit surmonter, écartelé entre des considérations antagonistes : écologie des espaces verts et bien-être des riverains, sauvegarde du patrimoine architectural, développement des activités d'attractivité économique liées à la compétition entre grandes métropoles.


Le projet réalisé n'a pas le mérite de l'évidence spatiale, ni de l'audace architecturale comme la fondation LVMH peut la revendiquer. Il a ainsi peu de chance de convertir une fraction de ses opposants.



Il ne m'a pas du tout convaincu, et quand je regarde cette vue aérienne du Bois de Boulogne, je suis frappé par plusieurs évidences :

  1. les saignées pratiquées par le périphérique et l'autoroute A13 nécessitent une cicatrisation la plus aboutie possible.

  2. le positionnement du nouveau court est incongru.

  3. l’îlot en forme de trapèze de Roland-Garros, inadapté aux besoins d'un tournoi du grand chelem, doit être rendu à la ville au Bois.

  4. les serres d'Auteuil doivent être réinsérées dans un environnement paysager continu et cohérent.

  5. les deux emprises des hippodromes de Longchamp et d'Auteuil apparaissent démesurées


Cette dernière observation amène à se poser la question du devenir du bois de Boulogne. Depuis près de deux siècles, celui ci, comme celui de Vincennes, est devenu la variable d'ajustement des aménagements urbains de Paris intra-muros et la mairie procède par le renouvellement de concessions à la privatisation d'un nombre croissant de ces précieux espaces verts.


Précieux car Paris est dans les dernières places du classement des grandes villes européennes (22% de son territoire est "vert", et dans ce pourcentage 17,5% résultent de la prise en compte des deux bois). Prague, en comparaison, occupe la première place avec un pourcentage de 56%.


Si les 530 ha d'espaces verts parisiens intra-muros (5% seulement de l'emprise urbaine) sont d'une bonne qualité botanique et adaptés aux familles, ce n'est pas le cas du bois de Boulogne qui est majoritairement assez laid. il n'y a que quatre jardins bien entretenus, ludiques, mais majoritairement payants:

  1. Bagatelle 25 ha

  2. Jardin d'acclimatation 19 ha

  3. Jardin du pré Catelan 5 ha

  4. Serres d'Auteuil 5 ha

Soit 54 ha, à comparer aux 33 ha de l'hippodrome d'Auteuil, et aux 57 ha de celui de Longchamp, inaccessibles tous les deux par destination aux familles.

Ces deux établissements ont vu leur concession renouvelée par la mairie en 2006 jusqu'en 2026. Pour le dernier nommé, on voit mal comment sa concession ne sera pas de nouveau reconduite alors que sa fermeture entre 2015 et 2018 pour des travaux de restructuration d'un montant de 131 M€ a été motivée par la nécessité de donner aux courses hippiques un second souffle.

En tout état de cause la mairie doit avoir l'ambition de revoir entièrement sa politique sur le sujet de ces concessions qui aujourd'hui ne cadrent plus avec les aspirations de verdure des parisiens qu'elle s'est engagée à satisfaire lors des dernières élections.


Si l'hippodrome d'Auteuil devait être délocalisé en 2026 et libérer ainsi une emprise de 33 ha contiguë au XVI° sans solution de continuité, même le stade Roland-Garros, qui probablement serait à cette date à même de se réaménager une fois encore, pourrait partiellement s'y implanter, effaçant l'erreur commise par la FFT en 2011. Certes les travaux liés à la modernisation du stade se sont élevés à 380 millions d’euros, mais la quinzaine génère 289 millions de PIB annuel. Et en comparaison la charge foncière de 8 ha de terrain à cette adresse peut être estimée dans les conditions du PLU actuel à plus de 1000 millions d'euros. C'est donc bien uniquement une question de volonté politique.


DM, 26/08/2020

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