Difficile d'échapper au pugilat politisé permanent entre la mairie de Paris, sa politique idéologique de la libération de la nature, du sauvage, et ses nombreux contradicteurs sur les réseaux sociaux qui postent les images de jardins publics mal entretenus, de rues sales aux revêtements dégradés.
Les professionnels du paysage urbain les plus objectifs pointent la faiblesse des moyens financiers et humains pour assurer la réussite d'une politique a priori aujourd'hui consensuelle de réduction des emprises réservées à l'automobile au profit de la création de pistes cyclables et de verdissement des espaces publics libérés pour y créer des ilots de fraicheur.
Cette chronique n'a pas pour ambition d'enrichir ce débat par d'autres exemples d'insuccès de cette politique, seulement de montrer qu'il est possible d'enlaidir ce paysage de la rue avec les meilleures intentions préalables, en essayant de satisfaire les nouveaux usages que celle-ci doit remplir au delà de sa fonction première d'espace servant.
Je propose au lecteur une courte promenade entre la rue Edgar Faure et l'avenue de la Motte-Piquet, mon trajet quotidien vers la station de métro éponyme, soit 700m en remontant (1) la fin de la rue Edgar Faure, en longeant (2) le petit côté du square Dupleix, puis (3) l'église Saint Léon et (4) la nouvelle école élémentaire Cardinal Amette, pour terminer (5) par la rue d'Ouessant.
Aujourd'hui la grande majorité des rues parisiennes existe (la rue Edgar Faure est récente, créée par la ZAC Dupleix de 1996) mais chaque construction nouvelle interagit fortement avec la rue qui la dessert et c'est cette interaction que cette chronique veut mettre en lumière afin de faire comprendre la responsabilité partagée que les maîtres d'ouvrage, leurs architectes et la municipalité ont dans le résultat, même si seule cette dernière en assure in fine la gestion.
C'est pourquoi je commencerai par une autocritique.
L'immeuble que j'ai conçu en 1994-1996 au 22-24 rue Edgar Faure est entouré sur ses quatre faces par l'espace public. Le long des trottoirs Nord et Est, j'avais la possibilité de prévoir à rez-de-chaussée des appartements, protégés des vues par un jardinet clôturé par une grille haute. Vingt sept ans plus tard ce dispositif simple a prouvé son efficacité car bien entretenu par le bailleur.
La situation des locaux donnant sur l'allée ouverte 24/24h longeant le parc est elle aussi satisfaisante, ce sont des vitrines (les boutiques de philatélie initialement imposées par l'aménageur ont été remplacées par une micro-crèche et une location de vélos).
Là où la situation s'est nettement dégradée est celle où les façades se retrouvent en contact direct avec un espace au statut hybride.
Sur ce pignon Nord-Ouest, on remarque le retrait de la façade, accepté par le bailleur à la demande expresse de l'aménageur, qui libère un espace différencié uniquement par la qualité du revêtement de sol. Les revêtements de façade "souffrent" et l'ensemble fait "mal entretenu".
Impression renforcée par le fait qu'en vis-à-vis, la même demande a été refusée par un promoteur expérimenté qui a fait profiter l'acquéreur du lot concerné d'un jardinet qui vieillit très bien.
J'ai donc mal très mal conseillé à l'époque mon maître d'ouvrage.
Sur la façade opposée, pignon Sud-Est, j'ai commis la même erreur, aux conséquences encore plus funestes, en laissant se créer un espace, largement utilisé par le loueur de vélos, dont l'aspect est pitoyable. Comme cet espace couvre le parking souterrain privé, l'aménageur a exigé à la livraison que le recueil des eaux de pluie soit réalisé en régime privatif. Or on réalise sur cette vue que la pente de la rue et du trottoir public empêche de facto la séparation des eaux ruisselant sur le domaine public et celles arrosant le domaine privé.
Cette guerre des eaux picrocholine, mettant aux prises aujourd'hui les services de la voirie et le syndic de l'immeuble, dure donc depuis la livraison des lieux fin 1996, et aboutit à une absence de réparation des avaloirs dont les fuites désorganisent les scellements des revêtements de sols.
Je bats ma coulpe chaque fois que j'emprunte cet itinéraire, et recommande à mes jeunes confrères de ne jamais croire à la bonne issue d'une telle solution hybride.
(1) En haut de la rue Edgar Faure
l'avaloir de la chaussée se trouve face à un concurrent inattendu, un nid de poule.
(2) en longeant le petit côté du square Dupleix
Le décalage des voies crée un cisaillement et la création de deux passages piétons eux-mêmes disposés sur des ralentisseurs. Le plus large donne accès à un trottoir de 1 m de large seulement qui longe le square. Un conteneur de collecte de verre a été implanté, créant un lieu sale et insalubre car propice à des dépôts sauvages. Une initiative malheureuse qui gâche la vue sur le square.
La chaussée est anormalement large par rapport à l'étroitesse de ce trottoir. Cela semble répondre à la volonté d'offrir un stationnement temporaire aux véhicules de propreté, et aussi aux voitures de fonction attendant les officiers généraux habitant dans l'immeuble à gauche.
(3) en longeant la nef de l'église Saint Léon
Cette portion de voie est totalement piétonne et donne accès à toutes les sections du groupe scolaire cardinal Amette. La suppression de la circulation automobile y est une solution intelligente, créant un lieu de rencontre des parents et de jeux des enfants.
Ma seule critique est l'absence de tout réverbère, insécurisant aux heures tardives d'utilisation du métro. Le mât est bien présent mais la tête d'éclairage est absente.
Je la regrette car son éclairage me replongeait jusque là dans cette ambiance -retranscrite dans le cliché ci-dessous- que je retrouve dans les clichés du photographe André Kertesz (1894-1985).
(4) en longeant la nouvelle école élémentaire Cardinal Amette
Après avoir contourné l'abside de Saint Léon, le paysage urbain a radicalement changé entre 2017 et 2018 avec la démolition-reconstruction de l'école élémentaire.
Je n'ai malheureusement pas retrouvé des photos de l'ancienne école, simple longère en retrait de la voie dénommé "square de la motte-piquet", séparée de celle ci par une simple grille qui montrait le spectacle de la cour. De grands arbres ombrageaient celle-ci et une partie de la voirie. On peut imaginer l'atmosphère du lieu avec cette vue aérienne de mai 2004 ci-dessous
Je me souviens des grands arbres qui ombrageaient cette cour de récréation, et parfois de l'audition des cris d'enfant et de la vue de leurs jeux qui ajoutaient au plaisir de ce trajet.
En décembre 2016 le conseil de quartier annonce: Le cabinet d’architectes en charge de la rénovation du groupe scolaire Cardinal Amette a détaillé le projet définitif. Les travaux ont déjà commencé avec la démolition du bâtiment central. A l’heure actuelle s’y trouve une grande fosse, futur emplacement de la cuisine qui sera installée en sous-sol afin de réduire la hauteur du bâtiment.
La rénovation était devenue indispensable avec un réfectoire qui ne répondait plus aux normes d’hygiène. En plus de la nouvelle cantine, le nombre de classes sera augmenté. La rue bordant l’école devrait devenir semi-piétonne. Elle sera plantée et mieux éclairée. La nouvelle école devrait être livrée pour septembre 2018.
On remarque en effet la densité d'arbres d'alignement présent sur le secteur (3) ce qui justifie sa poursuite sur le secteur (4).
Un concours restreint s'est donc déroulé en 2014 et le résultat pouvait légitimement être encourageant puisque le lauréat est un architecte au talent reconnu et célébré par des prix, et dont les succès notamment dans les domaines muséal et cultuel, m'ont chaque fois pleinement convaincu.
Mais en 2018 je découvre ceci qui ne me convainc pas
et qui est la concrétisation de ce projet séduisant (image du concours):
qui est aujourd'hui travesti
Travesti par l'utilisation d'un bardage bon marché et la "sécurisation" des vitrages par l'interposition de caillebotis métalliques qui font disparaitre tous les reflets et effets de profondeur voulus par l'architecte.
Travesti par l'augmentation de la hauteur du mur d'enceinte et l'emploi de parpaings de mauvaise qualité qui sont évidemment agressés par les tagueurs.
Travesti par la non continuité de la pose des réverbères déjà installés sur la séquence (3) au profit d'un seul mat d'éclairage de style autoroutier. Ce style se retrouve jusque dans les pictogrammes peints sur la chaussée.
On peut raisonnablement penser que l'idée d'une coordination artistique n'a jamais germé dans la tête du responsable des services en charge de la transformation de l’espace public, des transports, des mobilités, du code de la rue et de la voirie.
Quant aux arbres sur cette section, la partie semble définitivement perdue, par négligence ou par incompétence.
Des quatre sujets plantés durant l'hiver 2018-2019, deux ont été abattus et remplacés moins d'un an après,
et la situation aujourd'hui est celle-ci, celle d'un chantier abandonné, ou expérimental: deux grilles ont été remplacées par un pavage disjoint, un sujet résiste tant bien que mal.
(5) la rue d'Ouessant
En vingt cinq ans, elle n'a subi aucune transformation. Pour rester dans le fil conducteur de cette chronique, au ras du sol, je continuerai à regretter l'obligation de marquer la limite de propriété par une bordure arasée de 5cm de large. Cette vieillerie du règlement de la voirie parisienne pourrait être avantageusement remplacée par une solution plus discrète de clous plantés aux différents sommets des lignes séparatives. J'avais obtenu dans une résidence rue du Surmelin le choix d'une telle solution.
Enfin j'alerte sur la situation inquiétante de ce mât d'éclairage, rongé à la base sur les trois quarts de son périmètre, et dont un quart est totalement ruiné ...
Conclusion:
Cette promenade architecturale avec une vision singulière sur plusieurs éléments d'appréciation qui contribueraient à donner une identité au paysage de la rue si une concertation sur le moyen terme permettait une meilleure prise en compte, par les différents acteurs de l'aménagement urbain, c'est-à-dire ceux qui le conçoivent, ceux qui l'approuvent, et ceux qui l'entretiennent.
J'ai pointé en (1) et (4) la responsabilité des architectes car ils ne se préoccupent pas suffisamment du détail de l'interface de leur projet avec la rue à la hauteur du passant. La suppression des seuils d'entrée (conséquence des règles d'accessibilité des H.P.), les comportements déviants, les risques d'attentats impliquent de trouver des solutions techniques adaptées voire innovantes, mais c'est bien le rôle de l'architecte.
Le contrôle appartient à l'administration, particulièrement au moment de l'examen des demandes de permis de construire. Si les problèmes de conception ne sont pas analysés à cette étape cela prouve un dysfonctionnement important, et, à mon sens, une perte de compétence. La diminution durable du nombre d'architectes-voyers est une mauvaise nouvelle, tout autant que le dessaisissement de plus en plus fréquent des urbanistes de la ville (APUR) dans les études préalables à l'aménagement concerté.
Enfin les dysfonctionnements dans l'entretien des espaces publics, des voies comme des espaces verts, sont suffisamment épinglés par la presse et les réseaux sociaux pour témoigner d'une part de réalité, même si parfois leur outrance ne se cache pas d'un affrontement d'ordre politique. Mais puisque la politique elle-même (annonces permanentes de végétalisation, de concertation pour un PLU bioclimatique, etc...) ne fait pas preuve de modestie, elle ne peut s'exonérer de répondre des raisons qui sont à l'origine de ces dysfonctionnements: La baisse du nombre de jardiniers qui serait passé de 1219 à 1095 entre 2014 et 2019, le manque de bûcherons pour planter, couper, élaguer et entretenir le parc arboricole. Enfin les arbres d'alignement, plantés sur les trottoirs, sont certainement les plus vulnérables car soumis à des travaux de terrassement récurrents liés aux réseaux enterrés. Or ces terrassements ont été concédés par la mairie à des concessionnaires privés.
Didier Maufras
11 janvier 2023
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